Morihei Ueshiba – O’Sensei, fondateur de l'Aïkido

Un art martial moderne, enraciné dans la tradition

L’Aïkido est un art martial japonais fondé au XXe siècle par Morihei Ueshiba, plus connu sous le nom de O’Sensei, qui signifie littéralement « grand maître ».

Sa création s’inscrit dans une double tradition : d’un côté, celle des arts martiaux anciens japonais (ju-jutsu, kenjutsu, aikijutsu), de l’autre, celle d’une profonde quête spirituelle et humaniste.

Contrairement à d’autres disciplines martiales centrées sur l’affrontement ou la domination de l’adversaire, l’Aïkido vise l’harmonisation des énergies. Il s’agit d’un art de paix, fondé sur des principes de respect, de non-violence et d’évolution intérieure.

Enfance et éveil aux arts martiaux (1883 – 1905)

Morihei Ueshiba naît le 14 décembre 1883 à Tanabe, une petite ville de la préfecture de Wakayama, au sud du Japon. Enfant de constitution fragile et souvent malade, il se montre cependant vif d’esprit et curieux, notamment à l’égard des enseignements religieux (bouddhisme, shintoïsme) et des textes classiques chinois. Il manifeste très jeune un intérêt pour la méditation, la prière, mais aussi pour l’observation de la nature et les rituels.

Pour l’aider à se renforcer physiquement, son père Yoroku l’encourage à pratiquer des disciplines comme le sumo et la natation dès l’âge de dix ans. Ces pratiques, conjuguées à un tempérament volontaire, vont forger en lui une endurance et une discipline hors du commun.

À l’âge de 18 ans, il part pour Tokyo  afin d’y poursuivre ses études et approfondir son intérêt pour les arts martiaux. Il intègre l’école Tenshin Shin’yō Ryū de ju-jutsu, sous la direction de Tokusaburō Tozawa.

Mais une nouvelle rechute de santé le contraint à revenir à Tanabe, où il poursuit un entraînement physique strict, axé sur le dépassement de soi.

La conquête du Nord et la rencontre décisive (1907 – 1919)

En 1903, malgré sa petite taille (1,56 m), il s’engage dans l’armée impériale japonaise. Il y apprend notamment le juken-jutsu (combat à la baïonnette) et participe à la guerre russo-japonaise en Mandchourie. Cette période renforce son esprit martial, son efficacité au combat et sa rigueur.

De retour à la vie civile en 1907, il retourne à Tanabe où il épouse Itogawa Hatsu, avec qui il aura plusieurs enfants.

Pendant les 3 années suivant son retour à Tanabe, Morihei Ueshiba s’absorbait par toutes sortes d’activités.

En 1910, à la naissance de sa première fille Matsuko, il commença à s’intéresser de près à un projet de peuplement de l’île sous-développée de Hokkaïdo du gouvernement japonais.


En mars 1912, à la tête d’un groupe de plusieurs familles, il dirigea leur déménagement dans une partie reculée du nord de cette île qui allait devenir le village de Shirataki.

Malgré toutes les énormes difficultés dues au climat rigoureux et à l’état inculte de cet endroit, ce groupe de colons, persévérant, réussit à mener à bien de nombreux projets : culture, élevage, se lancer dans l’industrie laitière, développer l’exploitation du bois de construction…


En février 1915, un évènement marqua profondément la vie de Morihei Ueshiba et influença indubitablement le développement de l’Aïkido : la rencontre dans la ville d’Engaru avec Sokaku Takeda Sensei, grand spécialiste du Daïto-Ryu Jujutsu.

Ce dernier s’était installé sur l’île d’Hokkaido qu’il parcourait régulièrement afin d’y diriger des stages de jujutsu. Âgé à l’époque que de trente-deux ans et déjà très compétent en arts martiaux, Morihei fut fasciné par le nombre, la complexité et la puissance des techniques pratiqués par Takeda. Il consacra dès lors beaucoup de temps et d’argents à leur apprentissage. Il invita même Sokaku à vivre chez lui afin de pouvoir bénéficier de cours particuliers.

Morihei Ueshiba devint, très vite, l’un des meilleurs élèves de Takeda et reçut un diplôme d’instructions du premier degré du Daïto-ryu en 1917. Il acquit une maîtrise remarquable dans cet art martial. L’enseignement qui lui fut transmis comportait plusieurs centaines de techniques très sophistiquées, composées de clés, de projections et d’immobilisations. L’ensemble de ces techniques seraient la base de ce qui allait devenir plus tard l’Aïkido de maître Ueshiba.

Une révolution spirituelle : l’influence de l’Ōmoto-kyō (1919 – 1925)

En 1919, à l’annonce de la maladie de son père, il quitte Hokkaidō pour lui rendre visite. Sur le chemin du retour, il entend parler d’un guide spirituel charismatique : Onisaburō Deguchi, dirigeant du mouvement religieux Ōmoto-kyō, basé à Ayabe. Ueshiba décide de le rencontrer. C’est un tournant majeur dans sa vie.

Il s’installe dans la communauté religieuse d’Ayabe, où il fonde le dojo Ueshiba Juku. Il y développe une pratique martiale imprégnée des valeurs spirituelles du shintoïsme, de l’humanisme universel et d’un profond respect du vivant. C’est à cette période que son art commence à se différencier du Daitō-ryū : il met l’accent sur la non-opposition, la fusion avec l’énergie de l’autre.

L’illumination martiale et les premières formes de l’Aïkido (1924 – 1931)

En 1924, Ueshiba suit Onisaburō Deguchi en Mongolie, dans un projet utopique de communauté spirituelle universelle.

Ce voyage, qui se termine par leur arrestation et leur détention, est un moment fondateur pour Ueshiba. Il y vit une expérience qu’il qualifie de révélation spirituelle : il dit avoir ressenti l’unité entre l’univers et lui-même, et la capacité de percevoir les attaques avant qu’elles ne se produisent.


De retour au Japon, il s’isole pour s’entraîner et perfectionner son art, qu’il nomme successivement Aiki-jūjutsu, Aikibudō, puis Kobu Budō. Sa renommée grandit dans tout le pays, et il est invité à enseigner dans des milieux prestigieux : la famille impériale, la police militaire, et même les écoles de formation des officiers.

Des maîtres comme Jigoro Kano, fondateur du judo, reconnaissent la valeur de son enseignement.

La naissance officielle de l’Aïkido (1930 – 1948)

Dans les années 1930-1940, l’art de Ueshiba évolue profondément. L’efficacité martiale demeure, mais elle est désormais portée par une philosophie de non-violence, d’unité et de compassion.

En 1942, son art reçoit officiellement le nom d’Aïkido. Il se compose de trois idéogrammes :

  • 合 (Ai) : l’harmonie, l’union
  • 気 (Ki) : l’énergie vitale
  • 道 (Dō) : la voie, le chemin

→ Aïkido = La voie de l’union des énergies.

En parallèle, la Seconde Guerre mondiale pousse Ueshiba à se retirer dans la campagne d’Iwama, au nord-est de Tokyo. Il y fonde un dojo, l’Aiki Dojo, et construit un sanctuaire shinto dédié à son art : l’Aiki Jinja, encore existant aujourd’hui.

L’Aïkido, art de paix universel (1948 – 1969)

Après la guerre, sous l’occupation américaine, la pratique des arts martiaux est interdite. Mais l’Aïkido, en tant qu’art pacifique et non offensif, est autorisé à reprendre.

En 1948, il fonde officiellement la Aïkikaï Foundation, dirigée par son fils Kishomaru Ueshiba.

Le dojo central, Hombu Dōjō, est établi à Tokyo.


C’est le début d’une diffusion mondiale. Des maîtres comme Koichi Tohei, Nobuyoshi Tamura, Kisshomaru Ueshiba, et bien d’autres, propagent l’Aïkido aux États-Unis, en Europe et dans le monde entier.

La fin d’un parcours, la transmission d’un héritage


O’Sensei continue à enseigner jusqu’à un âge avancé, tout en approfondissant la dimension spirituelle de son art, qu’il nomme Shobu Aiki – le combat véritable, celui que l’on mène contre soi-même.

Il s’éteint le 26 avril 1969, à l’âge de 85 ans, des suites d’un cancer. Ceux qui l’ont vu dans ses derniers instants racontent que son visage avait gardé une expression paisible et lumineuse, comme un masque Nô d’un vieillard en paix.

Deux mois plus tard, son épouse Hatsu le rejoint. Son fils Kishomaru Ueshiba lui succède officiellement et poursuit l’œuvre de diffusion et de transmission.